Tri Yann

Titres et paroles de l'album :

Tri Yann


Tri YannTrihori médiéval
Tri YannLe vieux laudia
Tri YannFrancez
Tri YannKerfank 1870
Tri YannL'aimante à la grand'messe
Tri YannHanter-dro macabre
Tri YannBranle de Saint Cyr en Retz
Tri YannPillée/Rondoise
Tri YannAn distro euz a vro-zaoz
Tri YannLes échevins de Nantes
Tri YannLe soleil est noir
Tri YannTrihori décadent

Tri Yann
Trihori médiéval
Traditionnel
Danse dont l'existence remonterait au XVe siècle, probable ancêtre de nos actuelles Gavottes, le Trihori n'a pas été l'apanage des seuls paysans puisqu'il pénètre avec la Duchesse Anne dans la haute-société française. Les danses en chaîne et en rond, quoique d'origine populaire, garderont d'ailleurs à la Cour le haut du pavé jusqu'au règne de Louis XIV.
La noblesse bretonne n'aura alors aucun scrupule à se "menuètiser" et à mépriser désormais les danses du Peuple. C'est donc paradoxalement grâce à un Champenois, Thoinot Arbeau, chanoine de Langres, que nous est parvenu le plus ancien témoignage de danse populaire bretonne connu, en l'occurrence une partition de Trihori publiée en 1588. Encore ne s'agit-il que d'un fragment, appris par Th. Arbeau d'un camarade breton alors qu'ils étaient tous deux étudiants à Poitiers.

La seconde phrase musicale de la version proposée ici est vraisemblablement l'œuvre de l'ensemble de musique ancienne Les Musiciens de Provence. Simple contre-chant à la tierce de la phrase citée par Th. Arbeau, elle en respecte donc parfaitement l'esprit. Cromorne et chalémie jouent ici la mélodie.
Instruruent privilégié pour l'accompagnement des danses en plein air durant tout le Moyen Age, la chalémie fut rapportée d'Orient par les Croisés. Forme évoluée de la chalémie douce, le cromorne sera employé du XVe siècle à l'âge baroque. Quant à la chalémie bruyante, elle engendrera à la Renaissance la bombarde dont la Bretagne a conservé l'emploi.


Tri Yann
Le vieux Laudia Tri Yann Tri Yann Tri Yann
Tri Yann/Traditionnel
Pour les urbains que nous sommes, beaucoup des textes de nos chansons populaires, hors de leur contexte rural et historique, n'ont d'autre intérêt que la poésie de leur naïveté. Quant aux musiques, toujours actuelles, elles deviennent souvent en Bretagne depuis une vingtaine d'années un support privilégié pour l'expression de préoccupations plus contemporaines.
Témoin cette ronde de l'Oust, dans laquelle nous évoquons la mort lente de nos campagnes et leur mutation en banlieues ou parcs résidentiels pour le meilleur profit des promoteurs. Nous avons employé ici des expressions particulières au Gallo, la seconde langue traditionnelle de Bretagne, d'origine romane, dont l'avenir est encore plus incertain que celui du Breton, d'origine celtique.


Le vieux Laudia s'est endormi là-bas dans sa campagne,
Mais il n'a pas toujours dormi, il a fait un village.
Y'a du par-dessous là-dessous.
Y'a du par-dessous par là.

Il a dormi pendant sept ans, sept ans sans qu'il s'éveille.
Sa femme autant qu'il a dormi elle s'en fut à la messe.
Y'a du par-dessous là-dessous.
Y'a du par-dessous par là.

Dedans la ferme de Laudia y'avait trois jolies filles,
L'une après l'autre sont parties pour aller à la ville.
Y'a du par-dessous là-dessous.
Y'a du par-dessous par là.

Après deux ans le fils partit dans la lointaine Afrique,
Il est parti comme sergent, reviendra Capitaine.
Y'a du par-dessous là-dessous.
Y'a du par-dessous par là.

Après trois ans par ci par là un marchand de la ville,
Dans le chemin qu'il a passé, l'herbe elle devint grise.
Y'a du par-dessous là-dessous.
Y'a du par-dessous par là.

Il a coupé le pommier d'Août que les pommes sont aigres,
Mais que le cidre était si doux que l'eau de la fontaine.
Y'a du par-dessous là-dessous.
Y'a du par-dessous par là.

A la fontaine l'eau coulait. C'était l'eau de la vie.
Mais la source n'a plus coulé quand le marchand vint bouère.
Y'a du par-dessous là-dessous.
Y'a du par-dessous par là.

Il prit le lard dans le charnier et le vin dans la cave.
Il en fit des paquets dorés pour les vendre à la ville.
Y'a du par-dessous là-dessous.
Y'a du par-dessous par là.

Il fit des maisons dans les champs de cinq à six douzaines,
Toutes d'à rang et trois par trois, toutes blanches de même.
Y'a du par-dessous là-dessous.
Y'a du par-dessous par là.

Le vieux Laudia s'est endormi là-bas dans sa campagne,
Après sept ans s'est éveillé : le village était ville...
Y'a du par-dessous là-dessous.
Y'a du par-dessous par là.

Tri Yann
Francez
Tri Yann/Traditionnel
Traditionnellement, il était dit dans le dernier couplet : E ma barh hi kamb e gousket, hag hi lara ne saùei ket (elle dort dans sa chambre et dit qu'elle ne se lèvera pas).
Mais les jeunes Bretonnes ne sont plus légion à croire au prince charmant et la recherche hypothétique d'un travail les conduit plus à l'exode qu'au rêve, ce que Gweltaz ar Fur nous a aidés à exprimer en dialecte vannetais : Ma en estren er Jermani, hag hi lara ne zay ket en dro (elle est à l'étranger en Allemagne et dit qu'elle ne reviendra pas).


Francez én é vélin aùel o
Francez én é vélin aùel
Ha ean gavé hir é amzèr
A vordig d'en inizen
Ha ean gavé hir é amzèr
A vordig d'en deur.
Bonjour d'oh-hui tud doh en ti-man o
Bonjour d'oh-hui tud doh en ti-man
'Men'ma er vinourez tré-man ?
Mar dé er vinourez e glasket o
Mar dé er vinourez e glasket
N'oh ket deit mad eid hé haved.

'Ma en estren er Jermani o
'Ma en estren er Jermani
Hag hi lara ne zay ket en dro.
François dans son moulin à vent
François dans son moulin à vent
Trouvait le temps long
Au bord de l'île
Trouvait le temps long
Au bord de l'eau.
Bonjour à vous gens de la maison
Bonjour à vous gens de la maison
Où se trouve la fille de la maison ?
Si c'est elle que vous cherchez
Si c'est elle que vous cherchez
Vous êtes mal venu pour la trouver

Elle est à l'étranger en Allemagne
Elle est à l'étranger en Allemagne
Et dit qu'elle ne reviendra pas au Pays.

Tri Yann
Kerfank 1870
Tri Yann/Traditionnel
Le 4 septembre 1870, suite à la capitulation de Napoléon III devant Guillaume 1er de Prusse, la République est proclamée en France. Gambetta organise la "défense nationale". Les mobilisés des cinq départements bretons forment une "Armée de Bretagne", au statut étrangement avancé, voire autogestionnaire puisqu'il prévoyait même l'élection des chefs par la base. En fait, le gouvernement spéculait sur ce qu'il appelait "l'esprit de clocher breton" et sur l'ardeur au combat que susciterait pour des combattants peu francisés le fait de monter au feu tous ensemble groupés derrière leurs propres drapeaux.
Le pouvoir central craignit rapidement de s'être doté d'une arme à double tranchant, et le Comte de Kératry, mis à la tête de cette armée, fut immédiatement et sans motif tangible soupçonné d'intentions séparatistes. Gambetta n'arma jamais les bretons, jugeant plus prudent de les envoyer croupir dans un camp insalubre, près de Conlie dans la Sarthe. Des centaines de mobilisés moururent en quelques mois de faim, de froid et de maladie dans ce qu'ils surnommèrent "Kerfank", la ville de boue. Les réclamations incessantes de Kératry furent le prétexte à son remplacement par le Gal De Marivault, jugé plus sûr et placé sous la dépendance de Chanzy, chef de l'Armée de la Loire.

Le premier couplet de cette chanson fait allusion à la prise de commandement de Marivault: alors qu'il passait en revue des soldats bretonnants criant "d'ar ger, ma général, d'ar ger! ", il loua leur ardeur à vouloir partir à la guerre... ignorant qu'en breton, d'ar ger ne veut pas dire à la guerre, mais à la maison.
Visiblement moins breton que Kératry, Marivault fut pourtant à son tour soupçonné de nationalisme. Le bras droit de Gambetta, Charles de Freycinet, choisit de faire massacrer plus de cent de ses hommes, toujours désarmés, par les Prussiens. Il put ensuite ainsi lui reprocher cyniquement son "incompétence" et faire casser le chef breton.
Une commission d'enquête réhabilitera discrètement Kératry et Marivault à la fin de la guerre. Quant a Gambetta, il deviendra président de la Chambre en 1879, et succèdera comme président du Conseil à Charles de Freycinet, Académicien français...


Général, ma Général d'ar ger,
D'ar ger ma Général,
D'ar ger n'eo ket d'ar brezel,

Général, ma Général d'ar ger,
D'ar ger ma Général,
Ma Kaer de Marivault.

En habit et jabyot doré,
Tu nous vois d'en haut,
Vive la Prusse et la France;
Le cul nu, tout dépenaillés,
On te voit d'en bas,
A bas Guillaume et Chanzy.

'Poléon, tu nous avais dit :
- Jamais les Prussiens
Ne verront la capitale.
'Poléon nous en a menti :
Les Prussiens l'ont pris,
Guillaume est devant Paris.

Ventre rond, le gilet brodé,
Tu nous vois d'en haut,
Vive la Prusse et la France ;
Varioleux, le ventre affamé,
On te voit d'en bas,
A bas Guillaume et Chanzy.
Freycinet, tu nous avais dit :
- Oubliez d'être bretons,
Vous servez la République,

Freycinet, tu nous avais dit :
- Oubliez d'être bretons,
Battez-vous pour la Nation.

Bien au chaud, en souliers cirés,
Tu nous vois d'en haut,
Vive la Prusse et la France;
Dans la neige, en sabots crottés,
On te voit d'en bas,
A bas Guillaume et Chanzy.

Keratry tu nous as donné
Des biscuits salés,
De la goutte et des cartouches,
Keratry, tu nous as donné
Des biscuits moisis,
De la goutte et des fusils

Des cartouches qui nous pètent au nez,
Des fusils rouillés,
Vive la Prusse et la France;
Les cartouches elles nous pètent au nez,
La goutte est mouillée,
A bas Guillaume et Chanzy.

Gambetta nous avait promis
Qu'on serait bientôt
Libérés dans nos campagnes...
Gambetta, tu nous a menti :
Tu nous tiens parqués
Dans la boue devant Conlie.

Féniassant de fauteuils en lits
Tu nous vois d'en bas,
Vive la Prusse et la France;
Gambetta, tu nous a trahis,
On te voit d'en haut,
A bas Guillaume et Chanzy.

Tri Yann
L'aimante à la grand' messe
Tri Yann/Traditionnel
Vocal : Catherine Authier
C'est l'histoire, traditionnelle dans toute l'Europe, du jeune homme qui oublie dans ses études en ville son amie restée seule au Pays.
Cette version ajoute une dimension religieuse, logique dans une Bretagne à forte tradition chrétienne : l'amant devient prêtre et la jeune fille le retrouve disant la messe. Dans le rêve qui suit son épanouissement, le profane et le sacré se mêlent, comme dans les Carmina Burana que colportaient de ville en ville, au Moyen-âge, les vagants, goliards et autres clercs en rupture de ban.


C'est un jeune homme de Carentoir, en faisant ses études,
Dans ses études a oublié les amours d'une brune,
La fille s'est lassée, a pris un homme marié.

Ah elle a pris un homme marié, pour aller avec elle,
C'est pour aller à Carentoir, pour entendre la messe.
En entrant dans l'église, proche du bénitier,

Elle aperçut son bel aimant qui chantait la grand'messe,
Elle est tombée évanouie, parmi toute la presse.

Ille mansit in urbae, ista mansit cum vaccis et porcis in medio pratorum.
Ille studens oblitus est eam et ill factus est ecclesiasticus,
Ista venit in urbis ecclesiam ubi missam cantabat ille,
Ista evanescens in urbis ecclesia ubi missam cantabat ille.

(Lui est resté en ville, elle dans les prés avec les vaches et les cochons.
Dans ses études, il l'a oubliée et s'est fait prêtre,.
Elle est venue dans l'église de la ville où il disait la messe et s'est évanouie.)

Tout le monde la regarde, personne ne la connaît.

Il n'y a que son cher aimant qui chante la grand'messe,
Il est venu la relever parmi toute la presse :
- Marie, ma p'tite Marie, qu'est-ce qui t'amène ici ?
- Ce sont tes fausses promesses que tu m'avais promises.

Les fausses promesses qu'il lui avait faites sont dans la Sainte Eglise,
Il les a faites toutes à Dieu. Adieu toutes les filles...
En entrant dans l'Eglise, il s'y est engagé,
En entrant dans l'Eglise, pour la vie est lié.

Tri Yann
Hanter-dro macabre Tri Yann Tri Yann Tri Yann
Tri Yann/Traditionnel
L'Ankou, c'est la Mort, personnage central de nombreuses légendes bretonnes. Squelette vivant, porteur en haillons de la faux qui fauche la vie, il parcourt la nuit les campagnes, et charge sur sa charrette, karig an ankou, ceux qu'il entraîne dans la mort. L'ankou redoute les croisées des chemins et les routes qui mènent aux villes. L'urbanisation l'a précipité dans l'oubli, et son évocation ne fait plus penser qu'aux danses macabres de Kermaria-an-Isquit, La Chaise-Dieu ou La Ferté- Loupière. C'est donc sur un air d'Hanter-dro que nous avons imaginé ce que pourrait être une de ses tournées, à notre époque où plus de la moitié des Bretons vivent dans les cinq villes de Nantes, Rennes, Brest, Lorient et Saint-Nazaire.


C'est dans le bourg d'Damgan, que l'ankou s'y promène,
Son char y va grinçant, les enfants vont riant.
Chez le Guillaume il cogne, mon vieux Guillaume ouvre-mé,
C'est pour ta femme Jeannette : l'heure a déjà sonné.

S'il faut te la bailler, va la chercher toi-même.
A l'hôpital de Vannes, ce matin l'ont emmenée
Trois hommes en robe bianche, dedans un char tout chromé,
C'est pour compter les jours qu'elle peut encore durer.

L'hôpital était grand, l'hôtesse était petite,
Elle en fut tout berlue en le veuyant passer,
Bianc sous son chapeau noir, traînant sa faux tout rouillée.
Il fit ben trois cents chambres, la vieille il a trouvé.

Au mitant de teuyaux, gueurlottant du darrière,
Saignée comme pourcieau, vidée de ses boyaux.
Bourrons-la de morphine qu'a dit le ptus jeune infermier,
Refoutons la crépine, elle peut encore durer.

Crachant mille copias, l'ankou se mit à braire :
Depis hier déjà, Jeannette elle est à ma.
Elle n'est qu'en sommeil, qu'a dit le plus jeune infermier
En refermant la vieille. Dans un mois repassez.

Revint le mois passé. N'était encore point morte.
On venait d'épieauder le peu qu'il en restait.
Revint deux mois passés, pi revint au bout'd'une année.
Elle était dans la bouète, mais déjà fossoyée

Tri Yann
Ann distro euz a vro-zaoz
Le retour d'Angleterre
Tri Yann/Traditionnel
Parmi les rares chansons populaires qui gardent leur actualité malgré l'évolution urbaine des mentalités, celles qui traitent d'événements militaires occupent une place privilégiée. Elles prouvent en effet le ridicule de l'attitude militariste, héritage anachronique du Moyen Age et de l'Antiquité.
Témoin Kerfank 1870, témoin aussi l'histoire de Silvestik, chevalier breton et mercenaire de Guillaume le Conquérant qui avait promis une forte solde et le pillage de l'Angleterre à ceux qui l'accompagneraient dans sa conquête. Brian et Alan, fils du Comte Eudes et de la "Duchesse" Edwije, menaient le contingent breton.
Cette chanson, publiée dans le Barzaz Breiz en 1841, aurait été composée à l'époque de la conquête.


Etre parrez Pouldergat ha parrez Plouare,
Ez euz tudjentil iaouang o sevel eunn arme
Evit monet d'ar brezel, dindan mab ann Dukez,
En deuz dastumet kalz tud euz a beb korn a Vreiz;

Evit monet d'ar brezel, dreist ar mor, da Vro-zoz.
Me'm euz ma mab Silvestik e ma int ouz he c'hortoz,
Me'm euz ma mab Silvestik ha n'em euz nemet-han
A la da heul ar strollad, gand marc'heien ar ban.

Evit monet d'ar brezel, dindan mab ann Dukez,
Evit monet d'ar brezel, dreist ar mor, da Vroz-zoz.

Eunn noz e oann em gwele, ne oann ket kousket mad,
Me gleve merc'hed Kerlaz a gane son ma mab;
Ha me sevel em'c'haonze raktal war ma gwele :
- Otrou doue ! Silvestik, pelec'h oud-de breme ?

Marteze em oud ouspenn tric'hant ieo deuz va zi
Petolet barz ar mor braz d'ar pesked da zibri;
Mar kerez bea chommet gant da vamm ha da dad,
Te vize bet eureujed breman, eureujed mad;

Achuet oa ann daou vloaz, achuet oa ann tri :
- Kenavo d'id, Silvestik, ne n'az gwelinn ket mui;
Mar kaffenn da eskern paour tolet gand ar mare,
Oh ! me ho dastumefe hag ho briatefe...

Ne oa ked he c'homz gant-hi, he c'homz peurlavaret,
Pa skoaz eul lestr a Vreiz war ann ot, hen koliet,
Pa skoaz eul lestr a Vro penn-da-benn dispennet,
Kollet gant-han he raonnou hag he wernou breet.

Leun a oa a dud varo ; den na ouffe lavar,
Na gout pe gelt zo amzer n'en deuz gweiet ann douar.
He Silvestik ao eno, hogen na mamm na tad,
Na mignon n'en doa, siouaz ! karet he zaou-iagad'.

Entre la paroisse de Pouldergat et celle de Plouaré, il y a deux gentilshommes qui lèvent une armée sous les ordres du fils de la Duchesse, qui a rassemblé beaucoup de Bretons pour aller à la guerre au Pays des Saxons. J'ai mon fils Silvestik qui part avec la troupe.
Une nuit que je ne dormais pas, j'entendis les filles de Keriaz chanter la chanson de mon fils. "Seigneur Dieu, Silvestik où es-tu maintenant ?Peui-être à plus de trois cents lieues d'ici, ou jeté en pâture aux poissons. Si tu avais voulu rester près de ta mère et de ton père, tu serais bien marié maintenant." Deux ans, trois ans s'écoulèrent, ''Adieu Silvestik, je ne te verrai plus : si je trouvais tes pauvres os jetés par la mer au rivage, je les recueillerais, je les baiserais." Elle n'avait pas fini de parler qu'un vaisseau de Bretagne, fracassé de l'avant à l'arrière, se brisa contre les rochers, sans rames et les mâts rompus...
II était plein de morts. Nul ne saurait dire depuis combien de temps il n'avait vu la terre. Et Silvestik était là, mais ni père ni mère ni ami n'avait fermé ses yeux.


Tri Yann
Les échevins de Nantes Tri Yann Tri Yann Tri Yann
Tri Yann/Traditionnel
Ridée dont le texte traditionnel s'ajoute aux nombreuses histoires de fiancées délaissées déjà évoquées. Nous n'en gardons ici que le thème de départ et le faisons évoluer en fonction d'une actualité plus brûlante : l'exode forcé d'un jeune Nantais qui n'a que le tort d'être né dans la ville qui connaît le plus fort taux de chômage de Bretagne et de l'ouest. L'espoir issu du changement de municipalité, le 20 Mars 77, est ensuite évoqué. Le dernier couplet, moins optimiste, déplore le silence des élus nantais sur l'importante question du découpage régional, attentisme en contradiction avec les vœux émis par les autres municipalités de gauche du département, réclamant le retour de la Loire-Atlantique dans la région bretonne.


J'ai promis à ma chère amie,
J'ai promis de m'en revenir,
A Nantes avant Décembre,

Le mois d'septembre il est passé,
Le mois d'novembre il est passé ;
La belle est en attente,

Son galant il a beau chercher,
Son galant il n'a point trouvé
Pour son travail à Nantes,

Il aperçoit un messager
Qui venait de vers Nantes,
A Paris de vers Nantes.

Approche approche, beau messager,
Approche et dis-moi, messager,
Quelles nouvelles y'a dans Nantes ?

On a changé les échevins,
Dans la ville de Nantes
Et dans l'entour de Nantes.

Ils feront l'herbe reverdir,
Ils feront les rues refleurir,
Sous nos pieds qu'on y danse,

Feront les amants revenir,
Après les mois d'absence,
Qu'ils y travaillent à Nantes.

Aux Nantais rendront leur cité,
Pourvu qu'ils veuillent la prendre,

Mais Nantes pour son avenir
En Bretagne doit revenir.
Faudrait p't'être qu'ils y pensent
La ville est en attente.

Tri Yann
Le soleil est noir
Tri Yann/Traditionnel
L'Amoco-Cadiz : le scoop énorme, un mois de voyeurisme touristique et de reportages à sensation qui finissent en s'étiolant sur un petit coup télévisé d'allez-quand-même- passer-vos-vacances-en-Bretagne, et on enterre le mazout et l'événement, dans l'espoir naïf d'être débarrassés à tout jamais de l'un comme de l'autre.
Cet événement reste pourtant, au-delà de sa réalité immédiate, un avertissement supplémentaire, face aux excès d'une civilisation qui court autosatisfaite à une décadence qui l'impressionne d'autant moins qu'elle semble s'y habituer et en avoir pris son parti. Il est en effet évident que dix ans après le Torrey-Canyon, même l'expression "marée noire" n'a plus la même force suggestive et n'évoque plus la même horreur; les mots "vrais" perdent tout sens dès lors que la répétition des naufrages les rend presque routiniers. Simple relation d'un énorme fait-divers, le récit journalistique a, dans sa froideur technique, tout dit de ce qu'on a vite oublié, rien dit de ce qui pouvait rester : la signification de l'événement, dans des articles déjà jaunis qui emballaient au mois d'Août le poisson des vacanciers.

Antidote à l'oubli, nos ancêtres ont inventé légendes et mythologies. C'est ainsi que le souvenir des Invasions leur restait et nous est parvenu au travers de légendes où les ogres et les monstres symbolisent les envahisseurs avec une force autrement suggestive que dans les livres d'Histoire, désincarnés par leur sécheresse officielle. Dans leurs légendes, les anciens Celtes avaient souvent recours à l'ésotérisme, donnant ainsi à l'événement d'autant plus de force que son accessibilité exigeait une démarche volontaire, à l'inverse d'une information prédigérée qui ne rentre par une oreille que pour ressortir par l'autre. Dans la mythologie celtique, les énumérations, les répétitions, l'emploi de rimes à l'intérieur des vers, le choix des mots autant en fonction de leur musicalité que de leur sens, donnent aux récits épiques la force d'incantations.

C'est dans cet esprit de la poésie celtique primitive que nous évoquons la catastrophe du 17 mars 1978, stigmatisant tour à tour : le naufrage, la destruction de la faune et de la flore, l'impuissance et la duplicité des notables, la colère populaire et le pillage de notre sol, enfin la vengeance apocalyptique et le banquet final, traditionnelles conclusions des combats des Celtes (cf Astérix).


Bel oiseau blanc du bout du monde,
Fils de deux muets, fils du Pays,
Rebelle semblant entre deux mondes,
Tire d'aile sanglant de quel pays ?
Feu noir sur trois abers,
Sang noir sur dix estuaires,
Sept îles et fer en pluie.
Battu de vent, flottant bastion,
Battu devant, flots, tourbillons,
Battu, battant sang pavillon,
Soleil levant, noir, sans rayons.
Noirs l'eau, le feu, la terre,
Noirs de feu les deux airs,
Le vent, la brume aussi.
Mer en brume soleil déforme,
Terre en brume vieillie diforme;
Doigts sont changeants en dix corneilles,
Poissons sanglants en dix orteils.
Pigeons de feu sur mer,
Poison de gueux sous mer,
Sept îles et fer en pluie.
Morte saison sans floraison,
Morte maison, sang, déraison;
Saisons perdues en oraisons,
Moissons perdues sans rébellion.
Feuillaison en hiver,
Fenaison en desert,
Grésil de fer en pluie.
Discours de feu, discours de veau,
Concours de peu, discours dévôts,
Secours de peu, futiles travaux,
Séjours de feu pour mille chevaux.
Noire langue des vipères,
Noire lande de colère,
Les vents, les hommes aussi.
Mil malloz ru, chant de l'épée,
Mille noires statues, noirs policiers,
Mille poings tendus, dix poings brisés,
Mille printemps dus pour mille années.
Cent mille hommes en colère,
Mille hommes sans la mer,
Sang, larmes et fer en pluie.
Mortes tribus sans héritiers
Portent tribut sang à payer.
Soleil fendu, bois condamnés,
Sol est venu, lois sont damnées.
Au temps que meurt la mer,
Autant se meurt la terre
Sous peur, sous fer en pluie.
Jour de demain, courage ardent.
Jour de Samain, coups, rage aux dents.
Seront les veaux perdant sang blanc,
Seront les loups perdant cents dents.
Rouge fin,
Rouge avers;
Rouge poings,
Rouge guerre.
Rouges mains,
Rouges serres;
Rouge festin,
Rouge chair,
Rouge vin,
Rouge bière,
Le feu, la mer aussi.

Fils de deux muets : fils de deux morts aber
Veau, boeuf : symboles de faiblesse par opposition au taureau
Mil malloz ru : mille malédictions rouges
Jour de samain : jour des morts
Avers : revers d'une médaille