Saint Martin de Ré, Le 28 mars 1927
Ma très chère Jeanne,
Je commence par t'annoncer que depuis le 23 écoulé, je n'ai pas eu de lettre de toi ; je sais
cependant que deux lettres sont venues à Saint-Martin-de-Ré à mon nom. Toutes deux ont été
retenues par M. le Directeur, donc je suis sans nouvelles de toi. Le départ est fixé le 7 avril
et je suis du nombre. Dans 9 jours donc ma très chérie, je dirai adieu à la France de laquelle
il ne peut me rester un bon souvenir. Et cependant comme je te l'ai déjà dit, dans mon éternelle
existence, pour toi sera mon dernier soupir.
Aujourd'hui je te dis adieu parce que je ne te verrai plus, pas plus que mes chers petits enfants
auxquels je n'écris pas particulièrement car cela ne ferait qu'augmenter leur douleur. Tu les
embrasseras de toutes tes forces pour moi, et leur diras tout ce que contient mon cœur pour eux,
car je sais que mes expressions ne pourront jamais être aussi claires que ce que tu devineras
toi-même.
Celle-ci est la dernière lettre que je t'écris de France. J'ajoute de la France car on ne sait
jamais, tu n'ignores pas que le voyage qu'on va me faire entreprendre est terrible surtout dans
les conditions que nous le faisons. Mais sois convaincue que la mort pour moi n'est rien, c'est
plutôt une délivrance, surtout pour qui ne peut rien espérer.
Je t'en prie, ma très chère Jeanne, n'essaie pas de venir voir mon départ car notre douleur
serait trop horrible, pour l'un et l'autre, cela a été de même pour tous ceux qui ont quitté
dans les mêmes conditions.
Je te dis donc encore une fois adieu ! Adieu, adieu et adieu !Au ciel !
Guillaume.
Reçu nouvelle trop tard. Pars heureux mon Guillaume. Rien n'est plus beau comme la mort d'un
martyr. Emporte mon cœur. Ne l'abandonne jamais. La lutte continue. Serai ferme jusqu'à la mort.
Sans adieu.
Marie- Jeanne.